l\'univers d\'Annelise

" - Ils nous examinaient, lui avait dit sa mère, pour voir si nous sommes bons à manger.
- Ils sont méchants. Ils m'ont mordu, insista le petit garçon.
- Non, ce n'est pas vrai. Ce n'est pas une question de méchanceté. (...) En ce moment, nous sommes quelque chose dans l'eau, et il faut qu'ils sachent ce que nous sommes. Ils nous auraient mangé s'ils avaient pu, mais notre corps est trop grand, trop vivant et trop solide pour eux.
- Qu'est-ce qu'ils mangent?
- Oh! des poissons plus petits, des vers d'eau. Ils gobent de drôles de choses, des morceaux de métal brillants. Ils mangent aussi des choses mortes.
- Ils nous mangeraient, si on étaient morts?
- Oui, j'imagine. Sous l'eau, les morts deviennent mous; ils ne servent plus à rien. Les poissons aident à nettoyer. La seule chose que tu dois te rappeler", et le visage de la mère devint sérieux, "c'est qu'ils ne font pas ça par méchanceté, ils mordent tout, vivant ou mort. Ils sont comme ça, voilà tout. Et c'est très important de connaître les choses comme elles sont. Pas comment tu as peur qu'elles soient, ou comment tu voudrais qu'elles soient. Ni l'un ni l'autre. Comme elles sont. Tu dois découvrir que le monde ne pense pas à toi, qu'il ne rôde pas en attendant de pouvoir te faire mal, même s'il y a beaucoup de gens, surtout des enfants, qui pensent ça et qui ont peur. Le monde n'essaie pas non plus de te faire plaisir. Il y a beaucoup de choses dans le monde qui te mordront.
- Les fourmis! s'écria t-il en parlant d'expérience.
- Et les abeilles, les serpents, les araignées, les poissons, beaucoup de choses. Mais ce que  tu dois apprendre, dit-elle, très sérieuse, c'est qu'elles ne le font pas par choix, elles ne le font pas pour te faire mal. C'est leur seule possibilité, c'est parce que leur nature est très simple. Elles sont là.  Elles suivent leur chemin, et parfois elles croisent le tien, alors elles peuvent te blesser. Mais pas par méchanceté, pas volontairement. Il n'y a que les gens qui font le mal volontairement."
Son visage s'apaisa, méditatif. "Et quand les gens n'ont plus qu'une seule possibilité, c'est pour faire du mal ou ne jamais en faire, c'est l'un ou l'autre. Le moment viendra où tu devras choisir... Mais c'est trop compliqué pour le moment, s'exclama t-elle, en le voyant tout à coup, si jeune. Ce que tu dois te rappeler, c'est qu'il faut affronter les choses comme elles sont, ne pas te mentir à leur sujet, ne pas te raconter d'histoires. Jamais."